L’année dernière, pendant mon séjour à Taïwan, j’avais publié sur Instagram une série de lettres. Elles y sont d’ailleurs toujours.
Mais cette application est conçue pour diffuser des photos. Pour l’utiliser comme un bloc-notes, j’avais dû faire avec ses contraintes : le texte ne peut apparaître que comme légende des images et ne doit pas dépasser 2200 caractères. En outre, seul le début apparait : il faut appuyer sur « plus » pour lire la suite. Le format de prédilection des photos est le carré ; on peut diffuser des vidéos, mais de courtes durées, etc. J’avais passé beaucoup de temps pour contourner ces rigidités.
Fort de cette expérience laborieuse, en prévision de mon prochain voyage, j’ai décidé de concevoir un bloc-notes plus adapté à l’exercice. Pour l’inaugurer et le tester, voici ici reproduites ces lettres.
Bonne lecture !
Voyager aujourd’hui
Je ne cesse de m’étonner de la manière dont le voyage est devenu si simple à réaliser. Il suffit aujourd’hui d’une carte bancaire – approvisionnée évidemment –, d’un ordiphone et d’une connaissance suffisante de l’anglais.
Un matin, j’ai voulu faire une promenade en vélo le long de la Tamsui, la rivière qui traverse Taipei.
Je me suis d’abord abonné à YouBike, le système de vélo en libre-service de la ville. Je l’ai fait à partir d’une station. J’avais le choix entre le chinois, le japonais, le coréen ou l’anglais. Je n’ai pas hésité longtemps… Dix minutes plus tard, c’était fait. Mais si c’est aussi simple, c’est aussi parce que le ville de Taipei est une ville moderne, très bien équipée et qui a un sens pratique très développé :
• Il y a un maillage très serré de stations et une application qui vous les signale et précise combien de vélos sont disponibles et de places sont libres ;
• il existe une carte multi usages qui coûte 3 € et qui permet de voyager en métro ou en bus, mais aussi de faire des achats dans les épiceries (7 eleven ou Family Mart) ou de louer des vélos. Il suffit de la charger préalablement en dollars taïwanais, puis de l’appliquer sur des bornes pour qu’elle soit débitée.
Une fois mon vélo retiré, je n’ai plus eu qu’à suivre les conseils de Google Maps pour me retrouver sur la piste cyclable qui longe la rivière et coupe la ville en deux, l’ancienne à l’Est, la nouvelle à l’Ouest.
Pourquoi Taiwan ?
J’ai toujours été fasciné par la Chine, cette civilisation qui s’est développée de son côté par des voies si différentes de la nôtre.
En ayant désormais le loisir, je me suis lancé depuis 3 ans dans l’apprentissage du Chinois, avec dès le départ, l’intention de m’y rendre. Mais voilà, la petite bébête de 2019 si voyageuse et la politique du zéro Covid maintenu contre vents et marées par le gouvernement chinois se sont fermement opposés à mon projet…
Taiwan, la petite île en face du mastodonte qui voudrait la croquer, a une politique plus subtile. Depuis un an, elle sort progressivement de la politique zéro Covid qu’elle avait aussi mise en place.
On peut y entrer sans visa depuis octobre, avec pour seule contrainte une période d’ « auto surveillance de santé » d’une semaine. Concrètement, cela signifie qu’il faut être hébergé pendant les 7 premières nuits dans une chambre seule avec douche et WC. Pour le reste, on peut circuler librement partout dès lors qu’on porte un masque, ce que font d’ailleurs tous les Taiwanais avec une remarquable unanimité et constance.
Et comme à Taiwan, on parle le mandarin comme en Chine continentale, j’ai changé de destination.
Bien m’en a pris je crois au vu des nouvelles qui viennent de Chine…
Pourquoi y vivre trois mois ?
J’ai un ami français qui a monté une Agence de voyage en Albanie où il vit désormais. Il distingue deux types de clients : « les voyageurs et les touristes ». Pour lui, les touristes sont ceux qui lisent attentivement le programme et lui font des remarques cinglantes si une entorse y est faite ; les voyageurs, ceux qui accueillent tout ce qui arrive avec intérêt voire gourmandise. J’appartiendrais plutôt à cette deuxième catégorie.
Quand j’étais jeune, j’ai vécu deux expériences de séjour de longue durée à l’étranger : 4 mois en Israël et 18 mois en Centrafrique. Les deux, pour des raisons différentes, ont eu un impact sur ma façon de concevoir la vie et elles sont encore toujours vivantes en moi. Aussi, à l’automne de ma vie, parce que cela m’est encore possible, j’ai eu envie de m’engager dans un séjour long, dans un pays aux traditions différentes des nôtres. Non pas tant pour le visiter – je le fais évidemment – que pour vivre en étranger au milieu de gens différents et apprendre à leur contact d’autres façons de voir les choses.
Ce que j’ai appris de mes expériences précédentes, c’est que c’est en étant dans la vie active que les échanges sont les plus riches. Aussi, n’ayant pas de projet professionnel sur place, ai-je décidé de m’inscrire pendant 3 mois dans une Université pour apprendre le chinois ; autant pour apprendre le chinois que pour la discipline que cela suppose – une matinée de cours, du lundi au vendredi – et les contacts que cela génère nécessairement. J’avais aussi envisagé de proposer gracieusement des cours de conversation en français à des étudiants chinois intéressés. Peut-être en aurai-je l’occasion ?
Fenny C., mon hôte…
Fenny est une jeune femme adorable et étrange que j’ai connue grâce à un site d’échange de maisons. Elle a accepté de m’héberger pour ma première semaine à Taipei, dans son appartement du centre ville, dans une grande chambre qu’elle met à disposition des voyageurs.
C’est une femme célibataire qui vit la semaine avec son fils de 13 ans et qui, depuis 4 ans, a un amant français qui vient vivre 3 mois en hiver chez elle et avec qui elle voyage en Europe ou ailleurs pendant les 3 mois d’été.
Le matin, elle me prépare souvent un plat pour compléter mon petit déjeuner, que je prends avec elle et son fils si je me lève à temps. Elle m’invite aussi à déjeuner ou diner, « tous les jours si vous voulez ». Comme tout cela est gracieux, j’en suis un peu gêné. J’accepte pour ne pas froisser sa générosité, mais pas trop souvent pour ne pas trop me sentir à charge…
Elle me fait rire avec ses avis radicaux. « Ce gouvernement est nul. Ils font les choses à moitié. Ils obligent l’arrivant à vivre seul dans une suite, mais acceptent qu’il partage une cuisine ou un salon avec toute une famille ! ». Elle m’a d’ailleurs aidé en m’envoyant, avant mon départ, un film de sa chambre que j’ai transmis à l’Université pour preuve que je satisfaisais bien aux conditions d’auto surveillance. En effet la sienne a une salle de bain en accès direct alors que j’accède à la mienne par un couloir. Elle me déclare : « En France, les villes sont trop petites. Il n’y a que Paris qui me plaise » –
son compagnon habite Macon…. Elle se moque de moi quand j’essaie de parler chinois avec son fils : « Vous prononcez mal. Les gens ne vous comprendront jamais » – le chinois est une langue qui utilise 4 tons permettant de donner à une même syllabe 4 sens différents. « Apprendre le chinois ne vous servira à rien. Quand vous rentrerez en France, au bout de 6 mois vous l’aurez oublié »…
Heureusement qu’elle ne l’enseigne pas !

De son fils, elle se désole auprès de moi : « il ne veut pas faire d’étude ; il dit qu’il n’en a pas besoin car il veut être livreur UberEats ou vendeur à 7 eleven ». Elle lui traduit en chinois ce qu’elle vient de me dire en anglais et il éclate de rire. Il est resté avec elle ce week-end car il avait un examen dans son école toute la journée de lundi. D’habitude, il le passe chez son père, mais « chez son père, il a le droit de tout faire ; il joue. Il n’aurait jamais révisé ».
La Chine pour assurer son développement sur des bases occidentales s’est appuyée sur Hong Kong et Taïwan, en engageant à prix d’or leurs ressortissants sinophones. Ainsi, Fenny a-t-elle travaillé dans des institutions financières à Taiwan et en Chine continentale, dans lesquelles elle a gagné beaucoup d’argent. Mais il ne fallait pas compter ses heures. « Je travaillais 14 heures par jour pendant la semaine. Il fallait toujours être présent au bureau pour répondre à toutes les questions. Et le week-end, je devais aller en formation… ». Mais depuis le Covid, elle a cessé de travailler. « Je ne sais pas pourquoi. Je n’ai même plus envie de sortir de chez moi ».
******
Ce sera tout pour aujourd’hui. A bientôt !


